Biographie nationale de Belgique/Tome 2/BOUDEWYNS, Adrien-François

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BOUDEWYNS, Adrien-François



BOUDEWYNS (Adrien-François), peintre de paysage et graveur à l’eau-forte, né à Bruxelles en octobre 1644. Il n’est peut-être pas d’artiste dont le nom et la biographie aient été plus tronqués; chaque auteur, pour ainsi dire, le rebaptisa, et, d’erreurs en erreurs, il finit par se diviser en trois ou quatre peintres ou graveurs diflerents, ayant chacun ses dates, sa biographie et son lieu de naissance. Weyerman, d’abord, parle de lui assez longuement; pour tout prénom il donne la lettre N qui chez lui est, comme on sait, la marque de l’inconnu. Cet N est devenu pour plusieurs écrivains postérieurs, Nicolas; de là un premier Boudewyns, prénommé Nicolas. Mariette, dans son Abecedario, nous donne un Antoine-François Baudouin, travesti quelques lignes plus loin en Baudouins, et changé de nouveau, à l’article de Bout, en Bauduins. Descamps ne change pas le nom; Immerzeel cite d’abord Antoine-François Bauduins, puis, quelques pages plus loin, Antoine-François Boudewyns. Kramm copie l’erreur de Félix Bogaerts et accepte Nicolas Boudewyns en le faisant suivre d’Antoine-François Boudewyns. Le Blanc le nomme Adrien-François Bauduins; enfin, parmi les catalogues des grands musées, celui de Madrid diffère pour l’orthographe du nom de famille et tous le désignent sous les prénoms d’Antoine-François. Nous en exceptons le catalogue du Musée d’Anvers, ce remarquable travail de biographie artistique qui, résumant toutes les erreurs commises, rétablit, à propos de Boudewyns, les faits, les dates et les noms dans leur entière vérité.

Weyerman prétend avoir connu et visité Boudewyns qui, d’après lui, vécut pauvre, misérable, et résida à Bruxelles pendant plus de quarante années; il entre, à ce propos, dans des détails entièrement dépourvus d’intérêt et même de convenance. Descamps ajoute, comme renseignement historique, qu’il laissa deux fils, tout à fait indignes de leur père. Cette assertion, qui n’est fondée sur aucune preuve, nous semble être la suite d’une phrase de Weyerman, mal comprise ou mal interprétée par le trop léger et peu érudit auteur français. Weyerman raconte que Boudewyns, exhibant ses dessins à un acheteur, se plaint d’un tour indigne qui le prive de ses meilleures productions en ce genre, tour qui lui a été joué par « deux méchants garçons qu’il avait enseignés pour tenir leur mère en paix et en repos, et qui se sont enfuis avec ses cartons, ne lui laissant que le portefeuille qu’il venait de montrer[1]. » Quand on veut bien réfléchir aux niaiseries qui sont, la plupart du temps, la source des erreurs les plus graves commises par certains auteurs, on trouvera peut-être que notre explication pourrait être vraie. Mariette appelle notre peintre Antoine-François Baudouin, il en fait un élève de Vander Meulen, constate son séjour en France, mais tombe, à son tour, dans une erreur capitale, en disant qu’après la mort de Vander Meulen, Boudewyns retourna à Anvers où il s’associa avec Bout pour l’exécution de ses tableaux. Or, notre artiste était de retour, non pas à Anvers, comme le dit erronément Mariette, mais à Bruxelles, dès 1677, ainsi qu’il sera établi plus loin.

Les éditeurs de Mariette rendent à Boudewyns son prénom d’Adrien; c’est la seule rectification qu’ils fassent. Immerzeel, dans sa première notice, indique Antoine-François Bauduins comme un peintre et graveur flamand, né à Dixmude, en 1640. Il le fait, à son tour, élève de Vander Meulen; s’il est peu connu comme peintre, dit-il, il fut, par contre, un graveur remarquable. Il le fait mourir à Paris en 1700. Presque rien de tout ceci n’est exact. Plus loin, dans le même auteur, nous trouvons Antoine-François Boudewyns, né à Bruxelles en 1660, et mort dans la même ville en 1700, paysagiste de quelque mérite et collaborateur de Pierre Bout. Trois lignes en tout. Kramm procède autrement : nous trouvons d’abord chez lui Baudouin (Ant.-Franç.) confondu avec le comte de Baudouin, graveur médiocre; puis, plus loin, deux notices se suivent; la première est consacrée à Nicolas Boudewyns, paysagiste de Bruxelles, 1660-1700; la seconde à Antoine-François Boudewyns, le collaborateur de Bout, qu’il engage le lecteur à ne pas confondre avec Ant.-Fr. Baudouin, nommé, dit-il, erronément par Immerzeel, Bauduins. Nagler avertit, à son tour, de ne pas confondre Boudewyns avec Antoine-François Beaudouin, né à Dixmude ou peut-être à Bruxelles, et qui a gravé d’après Vander Meulen.

M. Villot cite l’opinion qui sépare Boudewyns en plusieurs artistes et qui le fait naître tantôt à Dixmude (et non Dixmunde comme l’imprime M. Villot) en 1676, tantôt à Bruxelles, en 1660. Après un résumé succinct, il conclut à ce que tous ces Baudouin, Beauduins, Boudewyns, etc., etc., ne font qu’un seul et même artiste.

On le voit, il était temps qu’une main savante vînt porter la lumière dans ce labyrinthe d’erreurs. Heureusement, dans la belle collection léguée au Musée d’Anvers par la douairière Vanden Hecke Baut de Rasmon, se trouvait un tableau de Boudewyns et Bout. L’on dut à cette occasion faire des recherches pour écrire une biographie exacte des deux peintres et M. Alex. Pinchart, venant en aide à M. Van Lerius, fournit en partie à ce dernier les renseignements nécessaires pour ajouter une page intéressante au catalogue du Musée d’Anvers.

Boudewyns naquit donc, ainsi que nous l’avons dit au début de cette notice, à Bruxelles, et y fut baptisé à l’église de Saint-Nicolas, le 3 octobre 1644. Son père s’appelait Nicolas, sa mère, Françoise Joncquin. Il ne reçut qu’un prénom, Adrien, auquel on ajouta celui de François lors de sa confirmation. Il se maria en 1664, le 5 octobre, à l’église de Saint-Géry, avec Louise de Ceul; aucun enfant n’est issu, que l’on sache, de cette union, à moins qu’il n’en soit né pendant le séjour du ménage à l’étranger. Un peu plus d’un an après son mariage, c’est-à-dire le 23 novembre 1665, Boudewyns fut inscrit comme apprenti et franc-maître à la fois, dans la corporation bruxelloise de Saint-Luc. Nous apprenons, par cet acte, qu’il était élève d’Ignace Vander Stock, bon peintre de paysage et graveur. C’est donc à ce maître que notre artiste dut son talent; il est possible qu’il ait, plus tard, pris des leçons de Vander Meulen, malgré les doutes émis à cet égard par M. Van Lerius qui fait observer que, lorsque Boudewyns se rendit à Paris, en 1669 ou 1670, il était déjà franc-maître de Saint- Luc au moins depuis cinq ans et était âgé de vingt-six ans. M. Van Lerius aurait raison, si c’est réellement en 1669 ou 1670 qu’il partit pour la France, mais c’est ce qui ne nous paraît pas établi.

Une notice citée par M. Van Lerius donne la preuve que les deux compatriotes travaillèrent ensemble. On lit dans la Notice hisiorique sur les manufactures impériales de tapisseries des Gobelins et de tapis de la Savonnerie, etc., par M. Adrien-Léon Lacordaire, directeur de cet établissement, troisième édition, Paris, 1855, p. 63 : « M. Vander Meulen a fait les petites figures et une partie du paysage de douze tableaux représentant les mois, destinés à être exécutés en tapisserie pour Louis XIV. MM. Genoüels et Baudouin ont fait le reste du paysage. » En 1669 ou 1670, Genoels, chargé par le roi de dessiner pour une tapisserie le château de Marimont, près de Bruxelles, fut accompagné dans le voyage entrepris à cet effet, par notre Boudewyns. Cette particularité est relatée par Houbraken, qui donne en même temps l’itinéraire de l’excursion. Houbraken tient la connaissance du fait de Genoels lui-même. Boudewyns se trouvait donc en France à cette époque, mais cela ne prouve point qu’il venait seulement d’y arriver. Au contraire, nous semble-t-il, il est plus probable de supposer qu’il avait déjà pris pied et que son talent avait eu le temps d’être connu et apprécié. Il est certain que Boudewyns y travailla avec Vander Meulen, aima le talent de ce peintre et grava un grand nombre de ses compositions. S’il n’en reçut pas de leçons, il dut au moins profiter de sa liaison avec lui, pour perfectionner sa manière. Comme nous l’avons vu plus haut, Mariette rapporte que Boudewyns quitta Paris après la mort de Vander Meulen. C’est une grave erreur. Nous allons en donner la preuve. Les registres qui ont fourni les indications précieuses sur notre peintre, nous ont appris que celui-ci avait un frère, de deux ans plus jeune et nommé François; que ce frère, marié en 1669, eut trois enfants, qu’un de ces enfants, le plus jeune, fut un fils nommé Adrien, tenu sur les fonts baptismaux par son oncle en personne, le peintre Adrien-François, le 4 juin 1677. Voilà donc un jalon : nous savons qu’en 1677, Adrien-François était de retour à Bruxelles. En 1682, le 28 mai, nous l’y retrouvons, ouvrant son atelier à un certain André Meulebeeck; le 25 juin suivant il reçoit comme élève Mathieu Schoevaerdts, excellent paysagiste et graveur, imitateur de Teniers; enfin le 10 mars 1694, il admet encore dans son atelier son neveu et filleul, le jeune Adrien. On ignore encore si ce dernier prit sérieusement rang parmi les peintres de son époque. Boudewyns revint donc dans sa patrie bien avant la mort de Vander Meulen. Celui-ci décéda à Paris, mais quand? C’est ce que nous examinerons à l’article de ce grand peintre. Il nous suffira, en ce moment, de faire observer que la date du 15 octobre 1690, donnée par M. Villot, dans son catalogue du Louvre, ne saurait être exacte, puisqu’on a de Vander Meulen des tableaux représentant des événements arrivés en 1693. D’ailleurs M. Villot lui-même, après avoir indiqué la date de 1690 dans l’article biographique, nous donne, parmi les toiles du maître, le Siége de Namur (juin 1692) sic. Après l’admission du jeune Adrien dans l’atelier de son oncle, nous n’avons plus aucune date, aucun renseignement sur celui-ci. Sa mort est fixée par Immerzeel et d’autres auteurs à l’année 1700, mais sans preuve aucune ; donc, jusqu’à nouvel ordre, cette date reste problématique.

Boudewyns peut être classé parmi les très-bons paysagistes ; sa manière est gaie, délicate et pure ; ses arbres sont bien dessinés, les premiers plans agréables par une grande variété de végétation bien rendue ; les lointains transparents, les ciels légers. Mariette l’accuse de manquer de variété dans sa touche ; cette opinion est contestable. On a vu qu’il a travaillé avec Vander Meulen, mais c’est avec Pierre Bout qu’à son retour à Bruxelles, il exécuta la plupart de ses compositions. Rarement deux artistes furent mieux créés l’un pour l’autre ; ils se complètent. On assure que Charles Breydel a également étoffé quelques toiles de Boudewyns et que celui-ci, à son tour (ce qui a été longtemps ignoré) étoffa des tableaux de plusieurs autres peintres, entre autres de Théobald Michau. Cette particularité semblerait ressortir d’une communication de M. Chr. Kramm, qui note une vente tenue à Rotterdam, en 1756, et où figurèrent deux beaux paysages de Michau, avec des canaux, des figures, des maisons, etc., avec l’étoffage par Boudewyns. Or, nous avons quelque peine à admettre ces assertions, Breydel étant né en 1677 et Théobald Michau en 1676. À moins que Boudewyns ne mourût un certain nombre d’années après 1700, il n’est pas probable qu’il fut le collaborateur de jeunes débutants de vingt à vingt-quatre ans.

Le Musée d’Anvers possède de lui Une foire de village dont les nombreuses figurines sont dues à Pierre Bout. Celui-ci a signé seul, à l’avant-plan de gauche : P. BOUT, avec la date de 1686. Le Musée del Rey, à Madrid, où il est nommé Boudewins et son collaborateur François Baut, possède neuf toiles de ces maîtres ; à Vienne, deux paysages ; le catalogue dit : « Ant.-Fr. Boudewyns, né à Dixmude, en 1676 (d’après Basan, sans doute, qui donne cette date), mort à Bruxelles, en 1790. » Voilà notre peintre devenu plus que centenaire. À Dresde, neuf tableaux, parmi lesquels il faut citer la Porte d’un couvent devant laquelle se pressent une foule de mendiants. M. Hubner, rédacteur du catalogue, dit : « Élève de Vander Meulen, né à Bruxelles, vers 1660, mort vers 1700. » Au Louvre, un beau tableau, une Vue de l’annien marché aux poissons d’Anvers, avec la tour de la cathédrale et une partie de l’Escaut. M. Villot fait de cette vue d’Anvers une ville de Hollande avec un canal et une grande église ; l’erreur est permise, mais il est bon de la rectifier. Enfin, à Florence, se voit encore un bel ouvrage des deux artistes.

Boudewyns fut un graveur à l’eau-forte de beaucoup de mérite ; les œuvres de Vander Meulen ont été souvent gravées, comme on le sait, mais c’est notre artiste qui, sous ce rapport, mérita l’éloge de Mariette, juge impartial et érudit ; il dit expressément que les meilleures gravures exécutées d’après les toiles de Vander Meulen sont celles de Boudewyns. Nous en trouvons un grand nombre citées par Le Blanc qui, à son tour, fait naître l’artiste à Dixmude, en 1640, et qui le nomme Bauduins. Il suppose qu’il travailla d’abord à Anvers, à cause d’une de ses premières estampes qui porte l’adresse de Martin Vanden Enden, et qu’il fut élève de Genoels, parce qu’il grava d’après lui. Nouvelle version ! Puis, ajoute Le Blanc, il fut sans doute amené à Paris par Vander Meulen. Le même auteur nous dit que ses gravures sont signées tour à tour A.-F. Bauduins, ou Bauduin, ou Baudouins, ou F. Bauduins, ou enfin de son monogramme. Ajoutons-y Baudouin et enfin Baulduin et Bauduin, noms qui se lisent au-dessous de deux planches gravées d’après les dessins du maître, par Jacques Harrewyn, l’une pour la Topographia historica Gallo-Brabantiæ, l’autre pour les Castella et prœtoria nobilium Brabantiæ, etc., du baron J. Le Roy. Nous trouvons dans Le Blanc, entre autres pièces d’après Vander Meulen : Vue de l’année du Roy campée devant Douai, en 1667; — Ardres du côté de Calais; — Courtray avec la marche de l’armée, en 1667; — Prise de Dôle, en 1668; — La reine allant à Fontainebleau avec ses gardes; — Siége de Lille, en 1667, pièce gravée avec Van Hugtenburg; — Vues de Versailles, de Vincennes; — Sujets de chasse; — Paysages divers, etc. Une de ses premières gravures dont il est parlé plus haut est nommée : La lisière du bois, signée, à gauche, Andrien (sic) François Bauduins inventor et fecit, et à droite, M. Vanden Enden, exc. Enfin, trois paysages avec figures d’après Abraham Genoels. Houbraken cite encore deux grands paysages d’après Genoels, l’un d’après un tableau et surnommé les Citrouilles, l’autre d’après un dessin exécuté expressément pour Boudewyns.

Ad. Siret.


  1. ... maar een paar schelmsche jongens, dewelke ik om de moeder in rust en in vree te houden heb toegesteld, zijn met alles haasop gespeelt, en hebben mij niets als deeze portefeuille gelaten. (Weyerman, Vies des peintres, etc., t. III, p. 314)